Créer une start-up de 0 à 1

Créer une start-up de 0 à 1

Commençons par définir ce qu'est une start-up : c'est une organisation à durée de vie limitée dont le but est de trouver un business model répétable et scalable (i.e. déployable à grande échelle, avec des coûts par utilisateur décroissants).

Je vais détailler ici les leçons que j'aurais aimé connaître lorsque je commençais à entreprendre. Elles se déclinent en tactiques ("Trouver une idée" & "Développement utilisateur") et mindset ("Attitude").

Trouver une idée

La génèse d'une start-up se distingue de celle des autres types de projets.

Elle démarre d'une innovation, souvent technologique, grâce à laquelle le fondateur pense pouvoir créer de la valeur.

Cela est très différent des autres types d'organisations qui se construisent sur la base d'un business model déjà bien connu (par exemple un restaurant) ou bien de focus groups dont le but est de comprendre les utilisateurs avant de démarrer la conception du produit.

Une question légitime est donc : comment générer une idée innovante sans connaître ses clients au préalable ?

Il faut un edge. Un edge est un avantage intrinsèque et presque injuste que le fondateur possède. On en distingue en général deux types :

  • Les edges technologiques, résultant d'une expertise technique très particulière. Toutes les start-ups technologiques auxquelles tu peux penser se sont bâties sur un edge technologique.
  • Les edges de domaine, quand le fondateur a la profonde expérience d'un secteur, ce qui lui permet d'avoir une vue très pertinente de la manière dont celui-ci opère, et ce pour quoi ses acteurs seraient prêt à payer (cher).

Évidemment, une idée résultant de la combinaison de plusieurs edges (un par fondateur par exemple) a encore plus de potentiel.

Développement utilisateur

Il s'agit essentiellement pour cette section de digressions à partir des définitions énoncées dans The Startup Owner's Manual.

Dans la lignée du mouvement "agile" (son précurseur à vrai dire), le développement utilisateur (customer development dans sa version originale) est un processus itératif en 4 étapes dont le but est d'identifier avec objectivité la "traction" que rencontre un produit ou un service auprès de son utilisateur (qu'il faut découvrir) et atteindre le "product-market fit".

Ce processus est pyramidal : les étapes sont à franchir les unes après les autres et chacune sert de support aux suivantes. Il faut donc s'assurer de la robustesse de ses apprentissages, sans quoi il faudra inévitablement faire marche arrière dans le futur.

Découverte de l'utilisateur

Cette première étape est la prolongation de l'idéation : lorsqu'une idée qui semble "bonne" a été identifiée, il faut maintenant découvrir ses utilisateurs. Qui sont-ils ? Quel problème ton idée va-t-elle résoudre ? Comment résolvent-ils ce problème aujourd'hui ? Quel budget y allouent-ils ?

L'objectif de cette étape est de s'assurer de deux choses :

  1. Est-ce qu'il existe un problème DUR (Difficile, Urgent, et Reconnu) que des utilisateurs potentiels de ton produit rencontrent ? Sont ils prêts à payer pour résoudre un tel problème ?
  2. Est-ce que ton produit résout suffisamment convenablement ce problème ?

Pour remplir cet objectif, la méthode à employer est la suivante :

  1. Les fondateurs établissent une liste d'hypothèses, qu'ils vont ensuite chercher à confirmer ou infirmer en s'exposant à de potentiels utilisateurs. C'est contraire à l'approche Design Thinking qui consiste à d'abord observer ses utilisateurs en situation de problème sans ne rien supposer, puis proposer une solution.
  2. Pour chacune de ces hypothèses, il faut établir un test quantifiable et des experiences associées pour attester sa validité.
  3. Pour leur majorité, ces tests consisteront en interview d'utilisateurs potentiels. Sors de ton bureau (c'est très important) et confronte-toi au monde réel. Ne suppose rien à propos de tes utilisateurs : écoute-les, et parle le moins possible.

    Attention, la difficulté de cet exercice est très sous-estimée : tout concourre à te duper. D'abord, ton biais de confirmation. Ensuite, l'utilisateur lui-même, qui préfèrera—inconsciemment—te ménager plutôt que de te dire la vérité. "C'est pas mal !", "Je vois très bien à qui cela peut servir !", "C'est sûr que je m'en servirai quand ça sera au point.", etc. : ces réponses sont inutiles car ne démontrent aucune sincérité.

    Si ton produit est un site internet dysfonctionnel à l'état de MVP, un exemple de merveilleux compliment serait un message disant "Ça n'arrête pas de planter à chaque fois que je l'utilise !" : l'utilisateur a suffisamment besoin de ton produit pour venir l'utiliser, être frustré de son mauvais fonctionnement au point de t'envoyer un message, et revenir !

    À propos de mener convenablement des interviews utilisateurs, le meilleur livre sur le sujet est Le Mom Test que j'ai résumé 🇬🇧 ici.
  4. Pour chacun des tests : Si une hypothèse est invalidée, retourner au 1. et formuler une nouvelle hypothèse. C'est ce que l'on appelle pivoter.

Validation de l'utilisateur

Arrivé ici, tu as une start-up avec une idée de produit, de clients et de business model ayant passé le filtre de la confrontation utilisateur.

Durant cette nouvelle étape, tu vas créer ce produit et le vendre à tes utilisateurs pour prouver que ton modèle de start-up fonctionne :

  • Les clients rapportent plus qu'ils ne coûtent à acquérir,
  • Il est possible d'acquérir de gros volumes de clients, et idéalement les méthodes d'acquisition sont déployables à l'échelle.

Pour cela, tu vas tester, optimiser puis processer un certain nombre de paramètres : les canaux d'acquisition pour atteindre tes clients (sales), ta façon de leur parler (marketing), les fonctionnalités de ton produit (produit), ta manière de le pricer (finances), etc.

Quantitativement :

  • Pour un "single-sided business" (celui qui paie = celui qui utilise) la validation utilisateur se fait par des ventes régulières et maîtrisées.
  • Pour un "ad-supported business model" (les utilisateurs ne paient pas et son valorisés par de la vente de données/publicité) la validation utilisateur se fait par une base d'utilisateurs dépassant les 100k membres et croissant de façon exponentielle.

Le coup de maître durant cette phase est de rester frugal pour pouvoir repousser la levée de fonds à l'étape suivante. La valorisation de la start-up sera maximisée, l'ensemble des risques ayant été levés. Il faut donc redoubler d'astuces et d'agilité dans les développements produit et se confronter systématiquement à ses utilisateurs pour garder le cap.

Création de l'utilisateur

C'est la phase de la start-up que l'on nomme "scale-up".

On y lève en général beaucoup d'argent pour recruter massivement et déployer tous les efforts dans les directions qui ont été retenues durant la validation de l'utilisateur.

Maintenant que la cash machine a été créée, l'objectif est de la faire fonctionner à plein régime et générer le plus de revenus possible.

Mort de la start-up, naissance de la société

À ce stade, il ne s'agit plus d'une organisation temporaire orientée vers la recherche, mais bien d'une vraie société : un business model répétable et déployable à l'échelle a été trouvé !

L'harmonie avec laquelle les opérations, les ventes et le marketing exécutent deviennent les nouveaux challenges de l'organisation. C'est aussi le moment où le CEO historique se fait parfois remplacer par un corporate executive.

Les anciens pirates deviennent des amiraux.

Attitude

Quelques remarques sur l'état d'esprit à conserver :

  1. Ne cherche pas à créer un désir, mais bien à résoudre un problème DUR.

    D : Difficile → c'est un vrai problème et donc la solution sera un "must have" et non un "nice to have".

    U : Urgent → il faut le résoudre maintenant. Il est plus facile de vendre un doliprane à quelqu'un qui a un horrible mal de crâne, plutôt que de convaincre les gens de limiter l'émission de gaz à effet de serre en les menaçant d'un cataclysme écologique dans 30 ans.

    R : Reconnu → les utilisateurs savent qu'ils ont ce problème et cherchent déjà activement à le résoudre.
  2. Fake it until you make it

    Lorsqu'on crée une start-up, on se heurte très souvent à des problématiques de l'œuf ou poule : pour avoir des clients, il faut un produit. Pour avoir un produit, il faut de l'argent. Pour avoir de l'argent, il faut vendre ou lever de l'argent, mais pour ça il faut des clients... etc.

    Une bonne manière d'y répondre est d'adopter une attitude de fake it until you make it (faire semblant jusqu'à faire pour de vrai).

    Par exemple : créer une landing page qui décrit ton produit et fait mine de le vendre, puis au moment de l'achat virtuel par un utilisateur, révéler qu'il ne s'agit en fait que d'une inscription à la liste d'attente pour quand le produit existera... ce qui te permet de récolter le contact d'un futur client, te permettant de tester la traction commerciale dans des conditions réelles !
  3. Do things that don't scale

    Pour aller vite, accepte de ne pas optimiser ta manière de faire durant les premières étapes. Accepte de parler à 1000 utilisateurs tout seul les premiers mois. Accepte de faire le back-end de ton application à la main. Accepte de falsifier ton AI en exécutant toi-même les tâches que ton futur algorithme devra automatiser.

    Anecdote : avant d'être une application côtée 75 milliards de dollar, les fondateurs d'Uber ont démarré en prenant eux-même au téléphone les commandes de chauffeurs et en organisant tout à la main, sur des post-its et un Excel. Quand ils ont voulu basculer sur app, ils ont acheté des iPhones pour leurs quelques milliers de chauffeurs (la plupart n'en ayant pas). Les gens leur disaient qu'ils étaient fous, qu'Uber ne serait jamais rentable s'il fallait acheter un iPhone pour chaque chauffeur. Acheter un iPhone n'était financièrement pas scalable. Les fondateurs, eux, savaient que si Uber fonctionnait, ils n'auraient plus besoin d'acheter d'iPhone. Les chauffeurs seraient obligés de s'acheter un iPhone eux-mêmes, pour ne pas manquer l'opportunité des courses permises grâce à Uber.
    Accept to do things that don't scale.
  4. Love can do

    S'attaquer à un vrai problème (DUR) et trouver un modèle d'entreprise à forte rentabilité sont les deux piliers d'une start-up réussie, mais ne sous-estime pas l'importance d'être amoureux de ton industrie (au grand minimum ne pas la détester). La quantité d'énergie que tu vas devoir y déployer est telle, que tu ne le supporterais pas et abandonnerais.
  5. Ne tombe pas amoureux d'une idée, d'un produit ou d'une fonctionnalité. Laisse le marché décider, et apprécie avoir tort.
  6. Les start-ups meurent bien plus souvent d'un "suicide" (exécution échouée, abandon, crise interne...) que d'un "assassinat" par la concurrence.

    Être obsédé par celle-ci est une erreur et l'une des causes fréquentes d'éparpillement des fondateurs. En revanche, il est toujours important de penser à sa défendabilité. Quand tu auras dérisqué ton projet et prouvé ton business model, comment empêcheras-tu un nouvel acteur de faire précisément la même chose que toi ? Si un nouvel acteur fait la même chose que toi, comment empêcheras-tu tes utilisateurs de te quitter pour lui ? La rétention est une notion clé. De la propriété intellectuelle, avoir la main mise sur l'ensemble du viver de compétences, développer des actifs adjacents compliqués à constituer (exemple : une base de données), faire investir ton utilisateur (exemple : chaque photo postée sur Instagram rend ton départ de la plateforme moins probable) sont différentes stratégie de défendabilité.
  7. Il est toujours possible de faire une v0 de ton produit en 48h pour pouvoir convenablement t'exposer aux utilisateurs.
  8. Parle à tes utilisateurs pour comprendre leur problème et leur façon de raisonner à propos de celui-ci. Mais ne leur demande pas ce qu'ils veulent, car ils n'en savent rien. Comme l'a dit Henry Ford : "Si j’avais demandé aux gens ce qu’ils voulaient, ils m’auraient répondu des chevaux plus rapides."
  9. Aie toujours en tête que les utilisateurs achètent la solution, pas le produit et tiens-en compte dans ta communication.
    Exemple : les gens achètent un trou dans le mur, pas une perceuse.
  10. Pour faire retirer sa cape à un homme, rien ne sert de faire souffler un bourrasque gigantesque. Il suffit de faire rayonner le soleil.
  11. Et rappelle-toi : rien n'est impossible, mais rien n'est facile.