Être un bon meneur

Être un bon meneur

J'ai l'âme des affaires. Pour une raison que j'ignore et depuis toujours, j'aime l'argent, construire et investir. Je n'aime pas entamer pour laisser inachevé. Mon mental est conçu à cet effet : tout ce qui m'intéresse, tout ce que j'ai appris, a toujours été orienté dans cette direction. J'aime aussi la contemplation, mais lorsqu'elle est équilibrée par beaucoup d'accomplissements.

Avec un tel profil, j'ai souvent eu l'opportunité de faire équipe avec des gens qui avaient un savoir faire. Des artistes, des artisans, des scientifiques, des développeurs : des "makers".

Être dans ma position est étrange. Pour certains, je suis la raison d'être du business grâce à la vision et à la perspective commerciale que j'y injecte. Pour d'autres je suis un profiteur qui exploite la valeur créée par d'autres. Je pense que la situation est un peu plus complexe que ça.

Cette divergence de points de vue est due à la nature des compétences business. Celles-ci sont soft, par opposition aux hard skills : il n'est pas possible d'en établir un test quantitatif. Ainsi, il ne peut pas exister de classement objectif des gens les uns par rapport aux autres. Par exemple, il est beaucoup plus dur d'évaluer le niveau d'un chef d'orchestre que celui d'un violoniste à qui l'on peut simplement faire jouer une sérénade. Quelle aubaine pour les bullshiters qui peuvent alors "vendre du rêve", surfer sur une vague, s'associer à des sachants en les séduisant et s'attribuer le mérite d'un développement fructueux.

Pourtant, il paraît assez clair que Steve Jobs, Olivier Samwer ou encore Evan Spiegel ont contribué à la création et à la distribution de la valeur créée par les produits de leurs entreprises. Par leur exécution, leur vision, leur capacité à comprendre les humains, le monde et à donner envie aux autres (investisseurs, employés, partenaires, clients) de les suivre.

D'où la dichotomie qui peut exister au sein de la classe des CEO d'entreprise : certains font toute la différence quand d'autres ne sont que des parasites. Tout cela n'est qu'une application du premier principe que j'ai développé dans Il n'existe que 2 catégories d'opinions.

Mais alors, comment les vrais bons CEO peuvent-ils tirer le meilleur d'un maker, qui sont des gens rares ? Lorsque les makers sont excellents, c'est souvent qu'ils entretiennent une relation d'amour avec leur discipline, ce qui les rend singuliers. Certains sont même torturés. Ils préfèreront d'ailleurs souvent leur œuvre au projet qu'ils mènent aux côtés d'un CEO.

Le CEO n'est pas la star de l'entreprise. Il en est le chef car il en faut un, et qu'il est souvent celui dont les intérêts sont le plus alignés avec ceux du projet. Son rôle est de piloter au plus haut niveau la stratégie et l'exécution au jour le jour qui en découle. Il est celui qui devra répondre des erreurs et qui fera ce que personne d'autre n'aura envie de faire, il est la paroi entre le monde extérieur et le monde intérieur. Il doit être admiratif du travail créatif qui est réalisé par ses associés makers. Donner la direction à l'intérieur grâce à une étude et une compréhension approfondie de l'extérieur.  Il s'agit de catalyser leurs efforts. Savoir dire non et stop mais ne pas presser. Les makers veulent du temps et de l'argent pendant que les investisseurs et clients veulent des délais toujours plus serrés à des prix toujours plus bas. Être CEO, c'est faire l'arbitrage juste, être le brise-glace glace fendant la banquise pour que les artistes puissent continuer sereinement de mener leur œuvre à bord.

Lorsque j'ai intégré une promotion d'Entrepreneur First, on m'a attribué la qualité de "catalyste". J'aime beaucoup ce terme et je trouve qu'il englobe cette vision à merveille. Nous meneurs sommes des catalyseurs, là pour polir, embaler et distribuer un diamant qu'un autre a détecté, découvert et déterré à la force de ses mains.

Et je crois y avoir trouvé comment juger de la qualité d'un CEO : la qualité des makers qui veulent s'associer à lui.

e.